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ÉPHRAIM MIKHAËL

1866 - 1890

Rêves et désirs

 

Comme un bruit très lointain des cloches et des vagues

J'entends dans mon Esprit chanter des rhythmes vagues ;

Je rêve des sonnets divinement sculptés

Et des strophes dansant, langoureuses almées,

Un pas lascif, et des vers pleins de voluptés,

Des vers câlins, ayant le son de voix aimées.

J'aime ces sons lointains, ces poèmes rêvés,

Et je voudrais finir ces vers inachevés

Qui fantastiquement passent dans mes pensées,

Et pendant de longs jours j'écoute avidement

Les rhythmes inconnus des strophes commencées

Chanter en moi, comme un bizarre bercement.

Je cherche. Et la Beauté vague, aux formes troublantes

Que je vêts du manteau des rimes rutilantes,

Perd sa divinité subtile entre mes mains :

Mes vers ne valent pas les vers rêvés : l'idée,

Lorsque je l'ai saisie entre mes bras humains,

N'a plus son charme amer de vierge impossédée,

 

Je sens ainsi toujours, idéaux ou charnels,

Vivre au fond de mon coeur les désirs éternels,

Et chacun d'eux, désir d'amant, désir d'artiste,

Pourra s'éteindre ainsi que les soleils pâlis

Mais je n'endormirai jamais mon âme triste

Dans la sérénité des rêves accomplis.

Nul poème achevé, nulle douce amoureuse

Ne remplira jamais de somnolence heureuse

Mon coeur que rien n'apaise et que rien n'assouvit.

Car après tous mes vers et toutes mes étreintes,

Indicible et profond, dans mon Ame survit

Le Regret des Désirs morts et des Soifs éteintes.

 

****

L'automne

 

Le parc bien clos s'emplit de paix et d'ombre lente :

Un vent grave a soufflé sur le naïf orgueil

Du lys et la candeur de la rose insolente ;

Mais les arbres sont beaux comme des rois en deuil.

Encore un soir ! Des voix éparses dans l'automne

Parlent de calme espoir et d'oubli ; l'on dirait

Qu'un verbe de pardon mystérieux résonne

Parmi les rameaux d'or de la riche forêt.

Au dehors, par delà mon vespéral domaine,

La terre a des parfums puissants et ténébreux ;

Dans les vignes, le vent vibrant de joie humaine

Disperse des clameurs de vendangeurs heureux :

C'est l'altière saison des grappes empourprées

Des splendeurs de jeunesse éclatent dans les champs.

Si j'allais me mêler aux foules enivrées

De clairs raisins et si j'allais chanter leurs chants ?

Je suis las à présent de mes rêves stériles

Que j'ai gardés comme un miraculeux trésor.

Je hais comme l'amour mes fiertés puériles

Et la rose de deuil comme la rose d'or.

L'Ennui, rhythme dolent de flûte surannée,

L'Orgueil, vulgaire choeur d'inutiles buccins,

Ne vont-ils pas mourir avec la vieille année

Dans le soir bourdonnant de rires et d'essaims ?

D'invisibles clairons dans l'Occident de cuivre

M'appellent vers la vigne et les impurs vergers ;

Je veux aussi ma part dans le péché de vivre ;

Seigneur, conduisez-moi parmi les étrangers !

Pourtant tu sais, ô coeur épris de blond mystère,

Qu'au pays triomphal des treilles et des vins

Veille le dur regret de la forêt austère :

Tu pleurerais de honte en leurs sentiers divins.

N'écoute pas le cri lointain qui te réclame,

Les conseils exhalés dans la senteur des nuits.

Tu sais que nul baiser libérateur, mon âme,

Ne rompt l'enchantement de tes subtils ennuis.

Laisse les vendangeurs en leurs mauvaises vignes,

Tu ne t'enivres pas des vins de leur pressoir :

Contemple les lueurs candides des grands cygnes

Glissant royalement sur les lacs bleus de soir.

Et dans le jardin pur de floraisons charnelles

Regarde croître l'ombre avec sérénité,

Tandis qu'au ciel, des mains blanches et fraternelles

Font dans le crépuscule un geste de clarté.

 

****

 

Conseil du soir

 

Nulle pourpre aujourd'hui dans le gris vespéral ;

Le jour meurt simplement comme une âme lassée,

Et voici que du ciel uniforme et claustral

Une paix de couvent tombe sur ma pensée.

J'accepte le conseil religieux du soir

Qui m'édifie un pacifique monastère,

Et mon rêve, oublieux et calme, ira s'asseoir

Au jardin monacal plein de chaste mystère.

Je quitterai le lourd manteau du vain orgueil :

Trop d'autres ont usé l'or de son insolence.

Et je dépouillerai la vanité du deuil :

Tant d'ennuis ont crié que je veux le silence.

Comme un captif hanté par l'espoir suborneur,

Je ne monterai plus sur la Tour idéale

Épier le galop mensonger du Bonheur

Qui vient dans un brouillard de clarté liliale ;

Mais mon Esprit, absous de ses désirs altiers,

Sera pareil aux doux moines mélancoliques

Errants dans les jardins graves des bons moûtiers

Et vieillissant parmi les roses symboliques.